mercredi 7 juin 2023

Les années très studieuses

 

Dès la dernière année du collège jusqu’à la fin du lycée, j’ai passé 4 ans enfermée, avec une vie ternaire : étudier, manger, dormir.

 

L’arrivée de la dernière année au collège m'apporta une ambiance pressante, car il me fallait réussir à entrer au Lycée Un de la ville – un pont pour accéder à une bonne université, tandis que les autres seraient un pont aux voyous. Durant cette année, je me disais tous les jours Lycée Un ! Lycée Un ! pour me rappeler mon but. Je l’avais écrit et mis sur ma table, ce qui avait effectivement augmenté ma résistance dans les moments de fatigue.

 

J’occupais une chambre à moi seule, car c’était le collège de mon père – il était prof, le mien en plus. La fenêtre était un tableau naturel qui donnait sur un monde de verdure. Devant, c’était un bois de bambous ; derrière les bambous, des rizières ; plus loin, des collines ; et ensuite, on voyait en flou les sommets de grandes montagnes.

 

Je me mettais à ma fenêtre que je laissais ouverte même en hiver. Les feuilles fines des bambous murmuraient sous le vent. Au printemps, je regardais les pousses sortir de la terre, grandir visiblement et devenir en quelques jours de jeunes bambous.

 

Si je déplaçais un peu le regard, à travers les rizières, je voyais les collines où surgissaient des touffes de rhododendrons sauvages, et parfois je me permettais de sortir de mon agréable prison pour aller en cueillir un bouquet.

 

Pendant que mes parents me croyaient étudier, le nez baissé sur les livres, j’observais l’extérieur, vaste sans bord, éternel en vivacité, évoluant suivant les saisons, dont la scène a été profondément gravée dans mes souvenirs. Parfois je faisais un mauvais dessin ou un sobre poème, trop faibles pour décrire la beauté de la grande nature. J’adorais écrire mes journaux intimes, certains très longs, sur les bambous, les champs, les fleurs printanières, les fruits sauvages automnaux, la neige hivernale et aussi mes sentiments adolescents... Ainsi ai-je formé l’habitude de rêvasser en face des livres.

 

Le temps s’écoulait. L’année touchait à sa fin. J’ai réussi à entrer au Lycée Un en ville. Adieu, ma fenêtre ! Je ne pourrais plus jamais y retourner ! Elle me serait de plus en plus lointaine !

 

******

 

Mon lycée se situait au centre de la ville, mais je ne dépassais jamais la porte principale, par contre grande ouverte, pour regarder un peu ce qui se passait dehors. J’emprunte la phrase célèbre de Zhu Xi 朱熹11301200pour montrer notre état - 两耳不闻窗外事, 一心只读圣贤书 (on se consacre entièrement à lire des livres des Sages, sans écouter ce qui se passe en dehors des fenêtres).

 

Le campus n’était pas petit pour un lycée. Il était respecté par toute la ville. C'était un endroit transformé d’un jardin privé (à l’ancienne époque – c’est-à-dire avant 1949 en quelque sorte - c’était le jardin d’une famille riche ; au début de la prise du pouvoir pas mal de propriétés privées ont été confisquées pour devenir des endroits et des établissements publics). On y trouvait un petit lac, un kiosque avec des sentences parallèles gravées sur les colonnes, un pont en pierre de couleur vert gris (青石板), un bateau en pierre. J’aimais bien lire avant et après les cours sur le pont, sur le bateau ou près du kiosque : la beauté du coin était un confort à ma vie monotone de prisonnière.

 




Les livres, les examens et le stress pour le Gaokao (concours national pour l’entrée à l’Université) assombrissaient nos yeux et notre esprit. On marchait, les pas pressés, entre le dortoir et la classe, sans rien voir. On ignorait qu’il y avait un monde à l’extérieur de l’école et que l’adolescence devrait être une belle page de la vie.

 

Dans l’examen à la fin du premier semestre, je n’étais que la 16e de la classe. Je me sentis tombée dans un trou noir, je n’osais pas rentrer à la maison, pensant à m’enfuir dans un endroit lointain, comme un clochard. J’ai fini par rentrer, heureusement.

 

Mon père, normalement, ne me frappait pas. Il me demandait simplement POURQUOI un tel résultat et il tenait absolument à une réponse raisonnable. Je traînais des heures sans pouvoir y répondre, puisqu’il n’existait pas de bonnes réponses, notamment parce que je n’osais pas parler librement devant lui. Si je disais que parce que je n’avais pas assez bien travaillé, certainement la question suivante serait pourquoi tu n’as pas bien travaillé ; si je disais que j’avais bien travaillé, il ne serait pas moins fâché en répliquant alors ça veut dire que tu n’es pas intelligente et dans ce cas ce n'est pas la peine de continuer.

 

Le silence pesant durait longtemps, que personne d’autre n’osait casser. Je restais debout, la tête baissée, le regard fixé sur les pieds, sentais la pression du regard de mon père, qui voyait l’impossibilité que je réponde, abandonnait et poussant des soupirs en hochant la tête.

 

Evidemment, la maison, à ce moment-là, ne signifiait qu’un autre pupitre, y compris pendant les vacances. En réalité, pendant les deux dernières années, on avait très peu de jours de vacances, puisqu’on les remplissait par les cours supplémentaires. Les week-ends de même.

 

A l’arrivée des vacances, sous l’ordre de mon père (très souvent je n’écoutais pas ma mère, donc je n’appliquais que les ordres de mon père), je rédigeais un plan de vacances ainsi :

7h00 : se lever ;

7h15 – 8h00 : lecture matinale ;

8h00 – 9h00 : petit-déjeuner et repos (heureusement mon père tenait à ce qu’on se repose en une demi-heure après le repas pour le bien-être de l’estomac) ;

9h00 – 11h45 : étudier ;

12h00 – 13h30 : déjeuner et repos ;

etc.

 

Une fois, pendant un moment précieux dédié au repos, mon père, tout d’un coup, surpris de me trouver dehors, me dit : ne faut-il pas que tu ailles étudier ? Je lui répondis que ce n’était pas encore l’heure. Il était étonné par ma réponse, dit : on ne peut pas étudier quand ce n’est pas l’heure ? Puisque c’était la parole de mon père, qui ne devait pas être répétée une fois de plus, j’entrai dans la chambre, en me demandant au cœur : si on ne respecte pas le plan, à quoi bon l’avoir fait ?

 

Un soir de week-end, je m’enfermais comme d’habitude dans la chambre, mais lisant furtivement le roman «» (jia: maison) de Ba Jin, tellement concentrée que je me rendis compte trop tard que ma mère entra. Instinctivement, j’essayai de cacher le roman sous la table. Je reçus une gifle sur le visage avant que je ne tourne la tête. Elle dit que c’était détestable que je me comportais comme une voleuse, sinon elle ne se fâcherait pas tellement, car il ne s’agissait pas d’un livre malsain (elle n’oublia pas d’ajouter que ce serait mieux de le lire après le gaokao). Mais, de ma part, je l’avais fait par instinct, puisque tous les livres à part les manuels et les cahiers d’exercices étaient interdits !

 

Je passais souvent par un étang et des champs pour retourner de l’école à la maison. Un vendredi printanier, j’ai été attirée par la nature et ai cueilli quelques herbes et petites fleurs sauvages au bord de l’étang. Le soir je les collai artistement sur des pages d’un vieux livre. Plongée dans la création, j’entendis quelqu’un envahir mon territoire. Je me dis désespérément : c’est fichu ! Encore une gifle ! Et le cahier sera déchiré ! C’était ma mère, qui, à ma grande surprise, n’a pas du tout utilisé la violence. Elle regarda mes œuvres les yeux grands ouverts, dit d’un ton appréciatif : tu fais quoi ? C’est joli ! Tu peux faire ça avec quelques petites herbes ? Pendant que je restais perplexe de sa réaction inattendue, elle prit le livre pour montrer à mon père et mes oncles en train de jouer aux ma-jongs. Et puis, elle me le rendit, en ajoutant que je ne devrais pas y passer trop de temps. De toute façon, c’étaient les parents qui jugeaient.

 

Mes camarades étaient en général dans une situation plus modérée que moi, car les parents paysans ou commerçants pensaient moins aux événements scolaires. Les miens étaient profs! Les autres avaient le droit de regarder la télé les soirs de week-end. A chaque retour à l’école, elles discutaient, excitées comme un groupe de pies, des feuilletons où il y avait de beaux garçons, parmi lesquels elles choisissaient leur prince charmant. On était parfois punies par la surveillante du dortoir à cause du bruit que l'on faisait. Quant à moi, je restais muette puisque je n’en connaissais aucun.

 

Les résultats des examens, bons ou moyens, se succédaient, suivis du soulagement ou d’angoisse. Les années lycéennes m’ont transformée en une fille inquiète, gênée, perdant facilement confiance. Ma myopie s'aggravait.

 

Pendant la troisième année on avait des examens mensuels, qui duraient chaque fois 2 jours et demi comme le vrai gaokao, pour nous entraîner et nous habituer. 2 ou 3 mois avant le gaokao, à un examen mensuel de maths, j’eus brusquement la tête vide, je n’avais plus aucune idée pour les questions, les doigts tremblant de peur, jusqu’à la sonnerie finale. Je n’ai eu que 60 sur 150 pour les maths, et je suis tombée derrière la 30e place dans la classe, ce qui ne m’était jamais arrivé.

 

Mes parents étaient effrayés, ainsi que les professeurs, car j’étais considérée comme une élève capable de réussir. Pourtant, il s’agissait d’un moment délicat où je devrais retrouver le calme et la confiance. Alors, ils essayaient d’être discrets. Mon père n’est pas rentré de son école le week-end pour éviter de m’inquiéter, envoyant ma mère à la maison. Elle a montré énormément de douceur, sans oser respirer fort. En fait, elle était troublée et avait écrit à notre professeur responsable (班主任 : banzhuren), la priant de me calmer et de m’encourager. Celle-ci m’a fait sortir de la classe, toute souriante, et m’a dit : Ta mère s’inquiète beaucoup. Mais ce n’est vraiment pas la peine ! Ce n’est rien. J’ai toujours confiance en toi ! Son ton, malgré une légère facticité, était rassurant.

 

J’étais en bonne santé, car les candidats au gaokao sont souvent le centre de soin et d’attention des familles. Ce que je prenais le plus, c’était les poulets cuits à petit feu et le 人参 (renshen: ginseng), beaucoup plus sûrs que les produits dits magiques fabriqués par des usines. Les poulets étaient cent pour cent fermiers puisque mes parents en achetaient directement dans les villages, que les paysans attrapaient sur place avant la vente. De temps en temps, les collègues de mes parents nous en offraient un comme cadeau, pour exprimer leur soutien. J’en mangeais un chaque week-end, les prenant pour des médicaments sans savourer le goût.

 

On disait que les cailles sauvages étaient extraordinairement nutritifs (on dit "trois cailles valent un poulet fermier" ou "une caille vaut trois poulets fermiers" je ne sais plus). Quand mon frère en chassa une, il la faisait cuire et ma belle-sœur me l’apporta à l’école. Quand elle me trouvait dans mon dortoir, c’était encore bien chaud. Elle me regardait finir de manger et ensuite partait avec la gamelle.

 

Les jours de gaokao ! Les 2 jours et demi ! Mes parents réfléchissaient beaucoup sur les menus des repas, comme tous les parents qui avaient leur enfant aux champs de bataille. Ils avaient beau remplir la table avec ce qu’ils pouvaient trouver au marché, car je n’avais appétit pour rien. Je dormais très peu, comme tout le monde. Certains camarades prenaient des somnifères pour s’endormir. Une fille était restée assise chez son professeur pendant toute une nuit.

 

Dieu merci, j’étais en pleine forme durant ces deux jours et demi. Pendant la séance de maths, la tête vide a failli me rendre visite encore une fois, mais magiquement, elle a été chassée par une force inconnue. Peut-être mes ancêtres me bénissaient ! Ou bien les Bouddhas, selon ma mère (elle croit que c’était grâce à ses prosternements devant les Bouddhas que j’ai pu réussir, ainsi que ma soeur). Ou plutôt tous les deux. J’ai retrouvé la tête aussi claire que le ciel après la pluie. J’ai réglé sans obstacle toutes les questions. La note était meilleure que ce que j’attendais : 138 sur 150 – un résultat dont mon professeur de maths parlerait à ses élèves les années suivantes.

 

J’avais très souvent imaginé que, après gaokao, je jetterais les diables de livres, je crierais et sauterais de joie comme une folle. Pourtant, lorsque le moment arriva effectivement, je me sentais tranquille, même vide, sans savoir quoi faire. Je n’en avais pas l’habitude, de la libération. De toute façon, je n’aurais jamais envie de retourner aux années de lycée. Pendant la première année universitaire, j'ai fait plusieurs fois le même cauchemar : j’étais encore au lycée, ayant le gaokao devant moi. Quand je me réveillais, je me sentais sauvée que ce n’était qu’un rêve. J’ai su plus tard que certains autres camarades ont fait ces rêves, cauchemars plutôt, aussi.

 

Malgré tout, je remercie profondément tous ceux qui m’ont soutenue durant ces années là, surtout ma famille, dont je m’éloigne de plus en plus après la réussite au gaokao.

dimanche 4 juin 2023

Récits de souvenirs - Mon école primaire

 


Les années à l'école primaire sont la période où l’on est bien curieux, où l’on commence à avoir des souvenirs clairs et à réfléchir sur des choses tout en gardant une naïveté.

 

Les instituteurs

 

Mon école s’appelle l’école primaire centrale de Hengjie (Hengjie est le nom du bourg), mais ce n’est que son nom officiel. On l’appelle plus souvent 桑田庙 (sangtianmiao : temple de mûriers et de champs), car le campus a été transformé d’un temple bouddhiste, avec des champs aux alentours. Quant aux mûriers, je ne les ai pas trouvés. Peut-être il y en avait avant. Il n’y a plus de bouddhas non plus, sinon ce serait étrange pour une école.

 

Il y a deux genres d'instituteurs et d'institutrices: une partie réside à l’école et l’autre partie rentre chez eux à la fin de la journée. Parlons d’abord de ces derniers qui ont leur maison dans un village proche et font parti des familles paysannes. Beaucoup d’entre eux n’ont suivi aucune formation professionnelle; ils deviennent enseignants parce qu’ils savent lire et ils se forment au fur et à mesure des expériences. Leur statut est 民办教师 (minban jiaoshi: peuple - établir - enseignant), créé pendant l'époque de "popularisation de l'éducation élémentaire". Les personnes avec ce statut non officiel enseignent presque tous dans une école primaire à la campagne et leur situation n'est pas stable jusqu'au jour où elles peuvent 转正 (zhuanzheng: avoir un statut officiel et devenir fonctionnaire).

 

Ceux qui habitent à l’école sont en majorité des diplômés du lycée qui forment les instituteurs et institutrices (collège + 3ans). Ils sont titulaires, 公办教师 (gōngbàn jiàoshī : public/Etat – établir – enseignant) en chinois. Parmi les titulaires il y a des jeunes diplômés. Il y a une distance entre les deux groupes et ils n'ont pas les mêmes sujets de conversation. Les professeurs paysans s’étonnent de certains comportements des jeunes ; et les jeunes ne s’intéressent pas aux conversations des paysans : le prix des petits cochons, les bagarres du village, etc.

 

Ma mère fait partie du groupe locataire puisque nous ne possédons pas de maison hors de l’école et qu’elle est titulaire. Elle s’entend bien avec les jeunes, tout en ayant des conversations avec l’autre groupe, étant donné son âge.

 

Pour moi, la vie commence quand tous les écoliers bruyants et des professeurs-paysans ont quitté le campus. L'école tombe dans le calme, le soleil se couche. On cherche du riz et le plat à la cantine (on n’a qu’un seul plat par repas, il n’y a pas à choisir. Le cuisinier fait la cuisson dans un grand wok – vraiment grand, dont le diamètre peut faire un mètre - et puis distribue dans les bols, selon le nombre précis des locataires), se met ensemble dans le hall central et mange en bavardant.

 

Nous partageons naturellement une grande partie de la vie. Ma mère s’exclame souvent qu’alors les gens sont plus simples, on s’entend bien malgré le décalage d’âge, ce qui n’est plus possible avec ses jeunes collègues d’aujourd’hui. Je me demande aussi si cette facilité d'entente provient en partie de mon imagination - celle d'une enfant in soucieuse qui ignore le monde d'esprit des adultes.

 

Après le dîner, on joue au ping-pong, aux échecs, au badminton, etc. Enfermés à l’école, on a une mode de vie assez simple. On s’amuse facilement, de tout cœur (peut-être, encore une fois, ce n’est que mon impression enfantine). Je participe à leurs jeux, parce que les grandes adolescentes ont le niveau de ping-pong ou d’échecs proche du mien. J’adore chercher une d’entre elles pour les échecs car j’ai la grande chance de gagner.

 

Très souvent, nous profitons des derniers rayons de soleil pour nous promener, sur la route entre les champs. Les paysans y labourent, résistant à la faim et la fatigue, et « se fâchent » de voir ces gens qui n’ont rien à faire après avoir mangé, tellement qu’ils marchent pour faire passer le temps et pour digérer. Ils protestent légèrement de l’injustice du destin et rebaissent la tête à leur travail. Parfois ils disent les vers rimés dans mon dialecte (pas rimés en mandarin) : 老师唱唱歌,一天两块多;农民敲锄头,一天两三角 (Les profs font leur chant et gagnent plus de deux Yuan par jour ; les paysans manient leur houe et ne gagnent que deux ou trois Jiao[1] par jour.

 

Après la promenade, on retourne à notre temple. Je fais mes devoirs et les grands préparent les cours ou corrigent les copies. Ceux qui terminent la tâche vont chercher les autres. Les chambres se dispersent autour du hall central, qui est notre centre de loisirs. Parfois, quelqu’un dit «  j’ai faim », et les autres « moi aussi ». On ouvre la porte de la cantine, attise le feu de charbon. Un jeune homme (la majorité sont des filles) a la charge d’aller au bourg acheter des nouilles.

 

Tout le monde met la main à la pâte pour préparer le souper. La soupe de nouilles est mise dans une bassine, apporté dans la chambre de ma mère car nous avons une table ronde pour manger. Chacun apporte son bol et on se régale. Quelque fois on ne peut pas finir, et on fait un jeu de poing (猜拳 caiquan), celui qui perd mange une bouchée. Ainsi, peu à peu, on vide la bassine. Le lendemain, le responsable de cantine se plaint un peu du désordre de la cuisine mais les « accusés » restent silencieux, et donc ça passe.

 

Notre école est aussi surnommée temple de nonnes à cause de la majorité féminine. Tandis que le collège de mon père à quelques kilomètres est surnommé temple de moines où les hommes dominent. Alors, de temps en temps, de jeunes moines viennent chez nous en vélo, et partent après quelques heures de cartes, de ping-pong et de causerie. Mais, aucun parmi eux n’a réussi à attendrir une nonne. Je pense que ces jeunes institutrices ne veulent qu’épouser un homme travaillant en ville, pour pouvoir y installer la famille. Tandis que si elle se met avec un autre "campagnard", elle risquera d'être destinée à passer toute la vie à la campagne.

 

Dans mes souvenirs, il n’y a qu’un jeune homme dans notre école. Il a à peine 20 ans lors de son arrivée, un garçon bien timide, issu d’une famille modeste d’un village lointain. Il est traité par toutes les femmes comme un frère cadet. En hiver, voyant qu’il n’a pas de pulls chauds, les collègues décident d’en tricoter deux pour lui. Les deux pulls sont le résultat du tricotage commun par les mains de toutes ses collègues.

 

Une anecdote de lui nous fait encore rire : un soir d’hiver, il apparaît brusquement à la porte de ma mère, trempé des cheveux aux pieds, dit : professeure Peng, je suis tombé dans le puits. Ma mère trouve cela un peu rigolo mais se retient de rire et annonce à haute voix à d’autres pour qu’on s’occupe de lui. Elle l’accompagne dans sa chambre, lui dit de se changer et de se mettre sous la couverture ; les autres lui préparent une soupe de gingembre pour chasser le froid.

 

Ce garçon, un jour, prend une décision: pratiquer la calligraphie. Il est très courageux et persévérant pour cette décision. Dès lors, il y passe tout son temps libre. Même la nuit quand il se réveille il se lève pour continuer. Il écrit sur les vieux journaux, avec tantôt un stylo tantôt un pinceau. Les journaux couverts d’encre s’entassent dans sa chambre. Une fois, il s’occupe de copier un document officiel dont la calligraphie est remarquée par le chef du district (县长xianzhang). Celui-ci le demande d’être son secrétaire; ainsi le jeune homme quitte-t-il la petite école campagnarde et s’installe en ville. Maintenant, il n’est plus secrétaire, mais le directeur d'un grand bourg. Heureusement à ce moment-là, il n’y avait pas d’ordinateurs, sinon il aurait beau pratiquer l’écriture des jours et des nuits.

 

Une fille

 

Parmi les locataires du petit campus, il y a une fille particulière. C’est la fille d’une collègue de ma mère. Elle ne travaille pas, elle « n’est pas normale ». En fait elle est un peu « folle ». La cause de son problème manque de certitude pour moi : tantôt on dit que c’est l’échec au gaokao (concours national pour l’entrée universitaire) ; tantôt c’est un chagrin d’amour.

 

Elle a un prénom mélancoliquement joli: yanqiu (烟秋 : brume d’automne). Elle vit avec sa mère et son frère aîné ; quant à son père, il est absent dans mes souvenirs.

 

La plupart du temps elle se montre tranquille, reste toujours à côté de sa mère et ne parle pas beaucoup. Lorsqu’elle ouvre la bouche, elle a des paroles surprenantes. Par exemple, une fois ma mère porte un chemisier imprimé sur lequel il y a des petites épées, Yanqiu rigole et dit : ah ! L’épée ! Ça coupe les intestins ! Ma mère est effrayée et n’ose rien dire. Une fois, on parle d’un aliment baimu’er (白木耳 un champignon blanc), elle écoute tranquillement et tout d’un coup dit : j’aime bien en manger, c’est comme des selles !

 

Il me semble qu’au printemps, elle peut être agressive. Une fois, elle s’enfuit. Sa mère court après elle en l'appelant. La mère finit par attraper sa fille qui se débat à toute force. Lors de leur retour à l’école, on voit le visage de la mère griffé par sa fille.

 

A part sa mère, un autre homme est aussi son cible d’attaque. Je pense qu’elle le fixe toujours d’un regard rigide parce qu’elle a une attention particulière pour lui et elle en est désespérée. C’est un jeune instituteur, marié, gentil, ayant du talent. Il souffre du regard omniprésent de la fille. Un soir, il se lave les pieds dans une bassine, j’ai la drôle d’idée de lui faire une blague en disant : Yanqiu est là! Il a l’instinct de se lever pour se sauver et renverse sa bassine. On éclate de rire.

 

Un bon matin d’hiver, tout le monde est encore au lit, sauf cet homme en train de rédiger des bulletins dans le hall central, plongé dans sa création à la craie. Nous sommes brusquement réveillés par la dispute à haute voix entre lui et elle. Voici l’événement : voyant qu’il est tout seul, elle l’attaque avec un long bâton. Lui se sent bien innocent et s’est mis en colère. Il crie : qu’est-ce que j’ai fait contre toi ? Je te dois des dettes antérieures ? Il a raison. Il ne lui a rien fait (c’est peut-être juste là le problème) et ne mérite pas ces ennuis.

 

Beaucoup d’années ont coulé. La mère doit être âgée. Je ne sais pas ce qu’est devenue Yanqiu.

 

Mes camarades

 

Pendant la journée, le campus est rempli de gamins et de gamines qui crient, sautent, courent, se disputent, … dans tous les coins. On dit même que les instituteurs ont un plus grand risque de souffrir de la faiblesse d’ouïe, car ils sont entourés par les hurlements.

 

Je ne suis jamais gênée par cela puisque je suis parmi eux, criant aussi fort que les autres. C’est un âge où l'on ne manque pas d'énergie. Aussitôt à la sonnerie de récréation, tout le monde gagne la cour et prend tout de suite des jeux, des courses, ou des bagarres. Très souvent, quelqu’un va chercher son maître ou sa maîtresse disant qu’il a été frappé.

 

Les filles pratiquent des jeux plutôt habiles dont je ne suis pas douée. Je ne suis championne pour aucun jeu sportif, donc personne n’est volontaire pour me prendre comme partenaire. Je suis souvent leur dernier choix, parfois comme un acte de pitié.

 

Je n'avais pas beaucoup de bonnes copines non plus, à cause de la jalousie des camarades : ma mère travaille à l’école, donc tous les professeurs me connaissent et font un peu plus attention à moi, ce qui est considéré comme un honneur pour les écoliers; je possède, sans effort, ce dont elles ont envie. Certaines filles me regardent d’un mauvais œil. Grandie enfermée dans le campus, je suis plus simple et naïve que mes camarades. Lorsqu’elles disent des gros mots, je suis incapable de répliquer, car je n’arrive jamais à dire la même chose.

 

A ce moment-là, l’agression la plus agaçante est de dire que quelqu’un est amoureux de quelqu’un. A l’époque en Chine c’était lié à une grande h onte, une grande impudeur. Lorsqu’on dit que je suis amoureuse d’un garçon, mes jambes tremblent, tellement que je manque de force pour contre-attaquer. Curieusement, l’accusation n’est efficace et violente que si c’est le cas. Si on dit que je suis amoureuse d’un garçon auquel je ne fais nulle attention, je m’en moquerais et pourrais facilement me défendre.

 

En parlant de cela, il me semble qu’à cet âge, bien qu’on refuse de jouer ensemble avec les camarades de l’autre sexe, on commence à avoir des affections floues vis-à-vis de certaine personne. Dans ma classe, il y a deux garçons que je trouve aimables, surtout celui qui s’assoit derrière moi. Il est beau et intelligent. Il vit avec son père ; sa mère s’est enfuie de la maison et n’y est jamais retournée. L'enfant avec un seul parent, c'était un cas très rare. La pitié augmente mon penchant pour lui. Il a la haine contre celle qui l’a abandonné. Un jour je lui ai demandé: Est-ce que tu chercheras ta mère quand tu seras grand? Il a dit: Non! Pourquoi je la cherche alors qu'elle ne veut plus de moi?!

 

Un jour, je décide de lui offrir une pêche alors que je suis une enfant très gourmande. Il est étonné, car les aliments sont importants pour un enfant, surtout à cette époque-là ils étaient rares et donc très précieux. Il demande : tu es sûre ? Après une rapide hésitation, je dis : oui! Lui, ravi, prend la pêche et la mange. A la fin de la journée, il a encore le doute, me demande : est-ce que je devrai te rembourser la pêche demain ? Je dis fermement non. Et il part en courant, se disant : Chouette ! J’ai gagné une pêche aujourd’hui !

 

Je me rappelle que durant une période, j'avais peur de dire son nom dans le sommeil, car ma mère serait au courant et ce serait l’enfer. C’est vraiment un petit plaisir de me retourner voir son visage fin et sérieux.

 

Mais, si je déplace mon regard vers les alentours, je vois d'autres visages moins agréables, prêts pour de moquer. Certains sifflent au coin, ceux plus explicites disent : ah ! ah ! SHU Changying est la femme de XXX ! Le monde change de figure dans mes yeux.

 

Pourtant, on ne joue qu'entre les filles ou les garçons. En plus, on n’accepte que d’être voisin d’une personne du même sexe. Au cas où une fille serait mise à côté d’un garçon, elle aurait honte et se sentirait malchanceuse, et il y en a même qui pleurerait en espérant que la maîtresse change sa situation.

 

Peu à peu, les maîtres et maîtresses finissent par mettre un garçon et une fille comme binômes partageant le pupitre, afin d’éviter les bavardages en classe. Et tout de suite, sur chaque pupitre, apparaît une ligne au milieu minutieusement mesurée, gravée par un couteau puis noircie avec l’encre. On fait attention à chaque petite invasion, à chaque fois quand le coude dépasse la frontière, et il y a parfois des disputes à cause de cette ligne. Il semble que la ligne est un phénomène populaire sur tout le pays, qu’on nomme 三八线 (san ba xian Ligne du  trois-hui ; 三八 – le 8 mars – fait référence à la date de la Fête de femmes).

 

En un mot, c’est un âge confus.

 

Les champs

 

J’ai particulièrement aimé les moments passés dans les champs ensoleillés.

 

Je n’avais l’occasion d’aller aux champs que pour 勤工俭学 (qingong jianxue [diligemment - travailler - économiquement – étudier] travailler pour économiser les études). Une fois par semestre, l’école demandait aux élèves de rendre un kilo de riz ou un demi-kilo d’herbes médicales, ou autre chose. Dans ce cas-là, je devais et pouvais en chercher dans la nature. Par exemple, j’aimais bien chercher des grains de riz dans les rizières sèches[2] – ce qu’il restait après la récolte. Il fallait en accumuler peu à peu pour atteindre un kilo, sans cela je n’aurais pas eu d’occasion de me balader d’un champ à un autre sous le beau soleil d’automne.

 

A ce moment-là, les paysans n’avaient pas encore rentré les pailles, où je cherchais mes grains. L’après-midi après les cours, je portais un petit panier avec moi, m’asseyais sur les pailles sèches réchauffées par le soleil. À l’époque, il y avait très peu d’automobiles et de machines ; tout était sous le calme. Si on se couchait, on faisait face au ciel large et bleu, une voûte grande et ronde qui me couvrait. Je sélectionnais des pailles et cueillais les riz. Je me sentais en sécurité bien que j'étais très souvent toute seule. A cet âge-là on a peu d’arrière-pensée qui nous ronge et on est tout simplement et pleinement dans la chose qu’on fait.

 

Je me souviens que cette fois-là, malgré mes sorties aux champs régulières, jusqu’au jour où il fallait rendre notre récolte à l’école, il me manquait encore cent ou deux cents grammes. Une copine m’en a donné un peu (les enfants des paysans n’étaient pas obligés de chercher grain par grain, car après la récolte leur grenier est plein de riz), ainsi ai-je pu accomplir ma consigne.

 

Une autre fois, il s’agissait d’une herbe médicinale – 半边莲 (banbianlian), une plante fine avec des petites feuilles rondes, qui arpente sur les bords des sentiers. Je sortais avec mon panier et une petite houe, marchais entre les champs, la tête baissée pour chercher les herbes. Il n’en manquait pas ; je creusais légèrement pour les arracher avec les racines qui sortaient de la terre avec une agréable odeur médicinale.

 

C’était agréable de regarder les cultures et les légumes pousser et se transformer. Si on levait le regard, on voyait les montagnes en chaînes qui nous entouraient.

 

J’ai oublié combien d’herbes médicinales il fallait cette fois-là, mais si je me rappelle bien, j’ai bien atteint la quantité demandée.

 

A part mes petites récoltes, j’aimais aussi les champs quand les colzas fleurissaient. Les fleurs de colzas, d’un jaune doré, sont un des signes de la florescence printanière. Les abeilles travaillaient sérieusement parmi les fleurs. Le soleil tiède, la couleur vivante, le petit bruit vibrant des abeilles, tout cela constituait l’impression du printemps. Parfois on attrapait des abeilles et les mettait dans une petite bouteille. Si on oubliait de les libérer, ils perdaient la vie le lendemain.

 

 

La chaleur du soleil donnait envie de paresser et de faire une sieste en s'allongeant sur les herbes, ayant couvert les yeux contre le soleil. A la sonnerie de l’école, on entrait souvent en sueur à la classe. Au début, il fallait du temps pour se concentrer aux cours ; et puis, s’étant calmés, on risquait de commencer à somnoler à cause de la fatigue et de la chaleur.

 

Les cours

 

La journée commence par la lecture matinale qui dure à peu près 30 minutes. Toute la classe, sous la surveillance de la maîtresse, hurle les textes du manuel. On a trouvé une solution qui économisait l’énergie et ne fatiguait pas trop la gorge tout en se faisant entendre, c’était de lire d’un ton tout plat. C’était critiqué par les profs et nommé comme chant montagnard (山歌). Moi, l’enfant des enseignants, je suis la première à lire correctement. La maîtresse en est reconnaissante, demandant aux autres de lire après moi, phrase par phrase.

 

Après la lecture, viennent les cours « principaux » (le chinois et les mathématiques) et des cours « auxiliaires » (dessin, sport, musique, sciences naturelles). On ne prend pas au sérieux les cours auxiliaires, dont les professeurs n’ont pas eu de formation spécialisée, tellement que ma mère, une des femmes les moins sportives qu’on puisse trouver, s’est occupée de nos cours de sport pendant un an. Les examens ne portent que sur les deux cours principaux.

 

A midi, tous les enfants et les professeurs non-locataires rentrent chez eux pour déjeuner. Il arrive que des enfants s’amusent sur le chemin et oublient la maison. Après le repas, ils retournent à l’école. La première activité suivante est la sieste. On dort assis, mettant la tête sur les bras. On est obligés de le faire, même si on n’arrive pas à s’endormir, ce qui est souvent le cas. Les « responsables de classe » font la surveillance tour à tour. Quand arrive mon tour, je suis ravie : je ne dors pas, je peux bouger et marcher librement dans la classe, et j’ai le pouvoir ! J’observe les camarades, note les noms des délinquants : ceux qui bougent, qui font du bruit, qui rient, qui lèvent la tête, qui regardent dehors, etc. Quelle bonne mission ! Une fois, je gronde un camarade, entendue par toute l’école. La maîtresse me dit : c’est bien d’être responsable ! Mais il ne faut surtout pas réveiller tout le monde.

 

Enfin on entend la sonnerie, à notre impatience. Les enfants se lèvent, le campus se ranime. Après la récréation, on a 30 minutes de calligraphie, un jour les petits caractères 小字 (au crayon) et un jour les gros 大字 (au pinceau). En cas de gros caractères, la classe est plus agitée, car tout le monde prépare son encre en meulant la pierre d’encre dans l’encrier, après être allés chercher de l’eau dans la rivière.

 

Et puis, il nous reste deux cours avant d'être libérés. Le campus retrouve alors son calme.

 

Ma professeure de mathématiques

 

Ma professeure de mathématiques est assez sévère avec moi, puisqu’elle est une bonne amie de ma mère et se sent donc responsable d’être rigoureuse à mon égard pour que je sois plus sérieuse aux études.

 

Elle ne me sourit pas. Elle m’observe pendant les cours et perçoit tous les signes de mes bêtises. Elle a une stratégie, comme les autres enseignants, qui me donne énormément de panique : lorsque je fais des fautes dans les devoirs, elle envoie quelqu’un dans ma classe, m’annoncer : SHU Changying, professeure Wu te demande d’aller au bureau. Je me sens tombée dans un trou noir, comme si le ciel me tombait dessus.

 

Il s’agit du grand bureau commun de tous les enseignants, où il y a de temps en temps des cancres punis dans le coin. Ainsi, ma crainte devient explicable : c’est une très grande indignité de s’y trouver. Chaque fois, je fais tous mes efforts pour faire changer la situation, priant presque avec des larmes : S’il te plaît, dis-lui de me laisser corriger les fautes dans la classe ! Je ne serai plus étourdie la prochaine fois ! Si je traîne trop, professeure Wu vient me chercher elle-même et je n’ose plus négocier. Je prends mon crayon et mon cahier, la tête baissée, la suis jusqu’au bureau. Tous les membres du bureau me regardent en riant. Les têtes des enfants se bousculent aux portes, car je suis, malheureusement, connue de tout le monde, puisque je suis l’enfant de l’école. J’entends des voix chuchoter : Regarde ! SHU Changying est dans le bureau ! Je me demande si mon imagination a inventé ou bien amplifié le chuchotement.

 

A la fin de la journée, elle ne tarde pas à aller dans la chambre de ma mère pour me dénoncer. Cela fait que je rentre avec le cœur battant fort après sa visite. Une fois, la voyant sortir de notre chambre, j’y entre, inquiète. A ma surprise, ma mère dit : professeure Wu m’a dit que tu n’as pas bonne mine, que je dois y faire attention, et que tu dois manger un œuf chaque matin. Dès ce jour-là, j’en mange un le matin.

 

Étant donné la relation intime entre elle et ma mère, je vais très souvent chez elle pour jouer avec ses enfants, surtout son dernier fils qui a un an de plus que moi. Une fois arrivée chez elle, j’oublie son statut. Je me comporte comme chez moi. J’y passe parfois toute la journée du dimanche, y compris les repas et la nuit. Avec ma sœur et son dernier fils, nous courons dans les champs, cherchant des mûres sauvages, attrapant des abeilles, etc. Son fils aîné est boiteux depuis la naissance à cause de la poliomyélite. Malgré sa faiblesse physique, grâce à son âge et son intelligence, il est vu comme le chef de la bande. Mais des fois on se moque de lui, surtout son frère cadet qui est le chouchou de leur mère : on cache ses cannes, met des pailles dans son dos sous la veste, ou même le pousse (ça c’est son petit frère).

 

La nuit, je dors avec la mère et son cadet. Le lendemain, mystérieusement toute la classe est au courant que j’ai été dans le même lit que le garçon. On fait du brouhaha, en criant : SHU Changying est la femme de XXX ! Le beau garçon derrière moi participait au chahut malgré notre bonne entente, peut-être est-il jaloux ?

 

Il y a une douzaine d’années, professeure Wu, dans les montagnes touristiques de notre région sanqingshan (三清山), a glissé sur les marches étroites et est tombée au milieu d’une falaise. Elle nous a quitté pour jamais, laissant derrière elle son grand fils boiteux, son petit fils chouchou …

 

Fin

 

Il y a beaucoup d’années, l’école a déménagé au centre du bourg, dans un immeuble en béton de deux ou trois étages, comme la majorité de bâtiments ruraux d’aujour’hiu. Je me demande si l'on a déjà démoli le temple de mûriers et de champs. Hélas ! Il n’est plus que dans mes souvenirs, qui s’effacent petit à petit avec le temps.



[1] Un Yuan = 10 Mao / Jiao

[2] Il y a un mot pour dire ça : 拾稻穗shí dàosuì

mardi 13 novembre 2018

Bicyclette de papa


(texte de ma grande soeur Changqing SHU)

爸爸的单车

La bicyclette de papa




        老早就知道江南的烟雨孕育出了太湖明珠的璀璨,老早就向往太湖的碧波荡漾,老早就喜欢有一个叫无锡的地方。在这个冬还没来到身边的时节,我经上海来到了无锡,想在喧嚣的凡世中,找到一份自己的雅趣和心灵的安静、一点自然与纯净。
J’entendais toujours dire que la brume et la pluie fine du sud du pays a généré la pureté du lac Taihu. Depuis longtemps, je rêvais de voir les flots bleus du lac et j’avais envie d’aller à un endroit qui s’appelle Wuxi. A cette saison où l’hiver ne s’est pas encore installé, je suis arrivée à Wuxi via Shanghai, recherchant un petit plaisir et un calme d’âme, un peu de nature et de pureté.

        不知道是自己的心累了还是体力不支 了,到无锡的时候 已过中午,随便吃了点一点都不想出去,就回房间懒洋洋靠在床上看起来电视。电视上一个镜头让我突然回想起了一些陈年往事:
Par une fatigue je ne sais pas morale ou physique, arrivée à Wuxi à midi passé, je n’avais pas tout de suit envie de sortir visiter la ville après avoir mangé quelque chose de simple. Je suis restée alors dans la chambre d’hôtel, regardant la télé. Une scène passée à la télé a fait surgir, soudainement, quelques souvenirs...


那是在我读初中二年级的冬天。不知道是那时冬天更冷的缘故还是现在的衣服更御冷的因素,在我的记忆里那时的冬天老是寒风凛冽的。那时我在爸爸就教的横街中学读书,妈妈和妹妹在十几里外的小学工作,奶奶又在二十里外的县城生活。全家人的交通工具基本都是统一的双脚。一个傍晚爸爸突然骑着一辆崭新的自行车出现在我的视线里,啊,爸爸买自行车了,那可有点太奢侈了。原来是小姑姑帮助才买起来的,我还记得那是一部叫长征牌的自行车。这部自行车可是当时我家里唯一的一件奢侈品。兄妹几个心里高兴得不得了。

Cet hiver-là, j’étais en deuxième année au collège (« le 5ème » en France). Je ne sais pas s’il faisait vraiment plus froid en hiver ou que les manteaux d’aujourd’hui résistent mieux au froid, dans mes souvenirs l’hiver était toujours glacial. Je faisais mes études au collège où travaillait mon père, ma mère et mes sœurs étaient à l’école primaire à sept ou huit kilomètres, ma grand-mère vivait en ville à une grande dizaine de kilomètres. Le moyen de transport de la famille, c’étaient nos pieds. Une fin de journée, papa parut devant mes yeux sur une bicyclette toute neuve. Ah, papa a acheté une bicyclette, quel luxe ! J’ai su plus tard que mon père a pu le faire grâce à l’aide de ma tante. Je me rappelle que c’était de la marque « Changzheng (longue marche) ». La bicyclette devint notre seul objet de luxe et on en était tous très contents.


当时我也不会骑,爸爸带我也很少。两个妹妹在妈妈教书的小学读书。爸爸每天就骑着这部车穿梭于中学小学十几里的乡村小路。有时把在中学养的鸡下的蛋用布袋装起来挂在脖子下傍晚骑车送到妈妈小学里给妹妹们吃。早上来中学的时候又把妈妈给我和哥哥吃的穿的骑车带上来。有时过年回奶奶家 ,爸爸车子上驮满了年货还有两个妹妹,爸爸推着自行车我和妈妈哥哥在旁边走,一家人也常常就这样来往于县城和我们平时生活的乡下。其乐融融啊!、、、、、

A l’époque je ne savais pas faire du vélo et papa ne m’emmenait pas souvent. Mes deux petites sœurs vivaient à l’école primaire où enseignait ma mère. Chaque jour, en fin de journée, papa mettait des œufs des poules qu’il élevait au collège dans une poche en tissu, allait à l’école primaire de ma mère avec la poche autour du cou et apportait les œufs pour mes sœurs. Le lendemain matin il revenait au collège et apportait, à mon grand frère et moi, de la nourriture et des vêtements que ma mère avait préparés. Des fois on allait chez grand-mère pour passer le nouvel an. Dans ce cas-là, la bicyclette devait porter beaucoup de provisions pour la période de fête, y ajoutant mes deux petites sœurs. Papa poussait le vélo, ma mère, mon grand-frère et moi nous marchions à côté. Notre « tribu » faisait de tels trajets entre la ville et la campagne où nous vivions. C’était un bonheur ! ….


再后来我和哥哥都来到了县城读高中了,爸爸的车常让哥哥骑,哥哥不是很喜欢读书,老喜欢到录像厅看录像。自行车又成了爸爸到录像厅找哥哥的道具。一般在那个录像厅门口只要看到爸爸自己的自行车,哥哥往往就一抓一个准,呵呵。我高考那年哥哥每天用这部自行车送我去考场,那时的夏天晚上也很热,一般人的家里都没有电风扇,妈妈晚上就一直给我扇扇子,但我也没怎么争气那年我还是落榜了。再后来我工作了,我结婚了,我有了儿子了。儿子特别喜欢爸爸妈妈。爸爸的那部自行车又成了运送儿子和儿子喜欢的食品的工具了。再后来爸爸也退休了,随之退休的还有那部在我家立下了汗马功劳的长征牌自行车。在我的记忆里爸爸好像也只有买过那一部自行车,和我一样爸爸也没学会骑摩托车和什么电瓶车。爸爸妈妈现在基本上都老坐公交车或走路。他们很少让我开车去接送他们。在他们的心里似乎我们这些做儿女的都特别的忙,他们好像都特别的不好意思打扰我们似的。唉!

Plus tard, mon frère et moi nous sommés entrés aux lycées en ville et papa prêtait souvent son vélo à mon frère. Mon frère n’aimait pas les études, il allait souvent regarder des films dans des petites salles (privées). Le vélo était un moyen par lequel mon père parvenait à le trouver : papa faisait le tour des salles et quand il voyait le vélo à l’extérieur, il entrait et y attrapait sûrement mon frère.

L’été où je passai le concours Gaokao (le concours pour entrer à l’université) mon frère m’emmenait aux examens tous les jours avec ce vélo. Le soir d’été était toujours extrêmement chaud et très peu de foyers possédaient un ventilateur. Maman me rafraîchissait avec un éventail dans la nuit, mais j’ai quand même échoué le concours.

Encore plus tard, j’ai commencé à travailler, je me suis mariée et j’ai eu un fils. Mon fils adorait mes parents et le vélo de papa est devenu l’outil qui transportait mon fils ainsi que des objets, comme la nourriture, pour lui. Et après, papa a pris sa retraite, ainsi que la bicyclette « Longue marche » qui avait tant contribué.

Dans mes souvenirs c’était la seule bicyclette que papa a achetée ; comme moi, il n’a pas appris à monter sur une moto ou un scooter. Mes parents se déplacent maintenant en bus ou à pieds. Ils me demandent rarement de les déposer en voiture. Dans leur tête, les enfants sont toujours très occupés et ils se gênent s’ils nous « dérangent ». Hélas !