Scène 1 :
(Entre un couple franco-chinois)
Ch : Comment devrai-je appeler ta mère ?
Fr : Catherine.
Ch : Euh…. appeler ta mère par son prénom, j’espère y arriver…
Fr : Et moi, comment devrai-je appeler ta mère ?
Ch : Ayi (tante).
Fr : Quoi ?! Mais elle n’est pas ma tante…
Je vous rappelle que si le jeune homme a l’idée d’appeler sa future belle-mère chinoise par son prénom, la conséquence pourrait être grave, car c’est hors de son « champ de réaction » - ça ne se fait absolument pas en Chine ! En revanche, si la fille appelle sa future belle-mère française par « tante », celle-ci se demanderait s'il est arrivé quelque chose à la fille.
Après le mariage, en Chine la belle-fille ou le beau-fils doivent appeler les membres de sa belle-famille exactement comme son conjoint ou sa conjointe, par exemple, appeler sa belle-mère « maman » et son beau-père « papa ». En France, continuer de les appeler par leur prénom est tout à fait normal. Il y a des belles-filles chinoises qui n’y arrivent pas, mais si elles les appellent « maman » et « papa », les beaux-pères ne seraient pas à l’aise. Résultat : elles évitent de les appeler tant que c’est possible. Un exemple plutôt radical : une belle-fille chinoise voudrait parler à son beau-père par téléphone, mais c’est la belle-mère qui rapproche. La jeune femme a dit : Euh…. Est-ce que je peux parler à ton mari ?
En Chine, sauf dans les occasions professionnelles et dites occidentalisées, on aime le système d’appellation familial. Quand je m’adresse à une petite fille, je l’appelle « xiaomeimei / petite soeurette » ; quand je m’adresse à un homme de la génération de mon père, je l’appelle « shushu / oncle », et « ayi / tante » pour une femme ; quand je m’adresse à une vieille mamy, je l’appellerai « nainai / grand-mère ». Alors que tout ces gens, je ne les connais point.
Si on copie le même système en Europe, en traduisant les mots dans la langue convenue bien-sûr, cela causerait une incompréhension totale chez les interlocuteurs. Si, dans les rues à Paris, pour demander le chemin, je dis : « Bonjour oncle ! Est-ce que Rue Mouffetard est loin d’ici ? » Vous pouvez facilement imaginer la réaction de monsieur l’oncle inconnu.
Une des mes élèves, quand elle voyagea en Chine, un petit garçon l’a saluée « Hello sister ! » Elle était surprise mais a bien aimé ; elle m’a demandé si elle aurait dû répondre par « Hello brother ! » au lieu d’un simple « Hello ! ». Le fait qu’elle m’a posé cette question prouve une appréciable ouverture d’esprit et un sens d’adaptation chez elle. Et puis, on éprouve naturellement de la sympathie et de la tolérance vis-à-vis des enfants.
Cet ennui ne concerne pas seulement la belle-famille ou les inconnus. Entre les collègues, par exemple. En Chine, il n’est pas dans les normes d’appeler un ou une collègue plus âgé(e) que moi par son prénom, même si on est proche ; il faut l’appelle « X + profession ou titre » (X désigne le nom de famille de la personne). Pour deux collègues enseignantes, l’une de 30 ans, l’autre de 45 ou 50 ans, la jeune appelle l’autre « X Laoshi / Professeur X », même si elles s’entendent très bien, mangent tous les jours ensemble et vont faire du shopping ensemble.
Dans l’établissement où j’enseigne, j’appelle la collègue française par son prénom, à la française ; j’appelle mon collègue chinois plus jeune que moi par son "nom + prénom", là il n’y a pas de problème ; j’appelle mes collègues chinoises plus âgées que moi par « X Laoshi » et elles m’appellent par mon "nom + prénom", à la chinoise. Mais une des collègues chinoises senior, avec le souci de « réciprocité française », me renvoient l’appellation « SHU Laoshi », et là ça me gêne car ce n’est pas la coutume chinoise, ni même la coutume française.
Quand j’étais à Lyon, j’ai eu ce problème d’appellation vis-à-vis de deux professeurs, un homme et une femme, tous les deux de l’âge senior. Avec la dame professeur, bien-sûr je l’appelais « Madame X ». Et puis, on a participé à une colloque ensemble. Elle voudrait peut-être qu’on devienne moins distantes, donc un jour elle m’a tutoyée et, bien-sûr, m’appela par mon prénom. Il m’était difficile de tutoyer un professeur (on en parlera plus tard) et m’était impossible de l’appeler par son prénom « Chantal ». Si, par un grand courage, j’avais réussi à la tutoyer, il aurait tout à fait ridicule de la tutoyer et en même temps de l’appeler toujours « Madame X ». J’étais dans l’embarras. Puisque j’avais échoué et continuai de l’appeler « Madame X », elle considérait sans doute que je préférais garder la distance (alors que la distance, je ne l’aime jamais !), donc elle était revenue au « vouvoiement ».
Avec l’autre professeur, puisque l’on a gardé le contact depuis toutes ces années, qu’on est devenus bien proches et que je le considère comme mon oncle français, j’ai fini par y arriver. Mais il y a eu la phase d’embarras : avec l’évolution relationnelle, je n’avais plus le droit de l’appeler « Monsieur X » ; je me suis donc obligée à sortir le « tu » et son prénom. Il a dit que j’avais mieux réussi qu’une autre Chinoise qui était sa filleule. Elle a réussi à le tutoyer mais n’arrivait pas à l’appeler par son prénom. Même pour le tutoiement, ça a pris beaucoup de temps : il pouvait ressentir que le mot roulait entre les dents de la fille mais ne sortait pas.
En Chine, on appelle moins souvent quelqu’un par prénom qu’en France. Je me rappelle ce qu’a dit un ami français, un peu plaintif : « On a un prénom mais ne s’en sert pas ». Entre les camarades, les collègues ou les amis, il est très courant de s’appeler par leur nom complet, c’est-à-dire « nom + prénom », et cela ne marque aucune distance ni froideur. Récemment, une fille qui enseigne le français en Chine – nous venons de la même région ; nous avons été camarades à l’université et pendant 4 ans nous avons partagé la chambre ; ensuite nous sommes devenues collègues et nous avons continué à partager la chambre jusqu’à son mariage. Tout ça pour dire qu’on est très proche et on a le même âge – m’a écrit. Dans le premier mél elle m’appela par mon prénom ; dans le suivant elle m’appela par mon nom « Shu » et s’en réjouissait, disant : « Bon, désormais je t’appelle comme ça. Si je t’appelle par ton prénom je suis gênée, car je sais qu’il n’y a que ta famille qui t’appelle comme ça ». Ceci est un exemple pour prouver le degré d’intimité exprimé par l’usage du prénom.
Parmi mes amies chinoises en France, celles qui se sont francisées plus que d’autres m’appellent par mon prénom, à la française ; d’autres m’appellent à la chinoise, donc « nom + prénom ». Parfois on ne fait ni l’un ni l’autre : on invente une autre appellation similaire, comme « Xiaoying » ou « Aying »au lieu de « Changying », peut-être pour ne contrevenir aucune de deux normes.
J'ajoute un exemple tout frais (venant des échanges de mél que je viens d'effectuer). Une jeune collègue m'appelle chaque fois "SHU Laoshi (professeur SHU)" et je n'aime pas trop ça. Je viens de lui écrire: Ne m'appelle pas "SHU Laoshi", sinon je serais obligée de t'appeler "LIU Laoshi". Sa réponse: Ok, SHU Jiejie (grande soeur SHU). Bon j'abandonne l'idée qu'elle puisse tout simplement m'appeler par mon nom. Accessoirement, ça me rappelle que je ne suis plus si jeune que ça... :-(
Cette prudence ne concerne pas uniquement le prénom, mais plus généralement le nom complet. Il est difficile pour les Chinois de dire le nom d’une personne âgée ou de haute position ; ils se sentent obligés de dire « X titre / profession ». Pour moi qui me considère en partie francisée, il m’est extrêmement rare de parler d’une personne « senior » en disant son nom sans le précéder de « professeur » ou « monsieur / madame ». Une ou deux fois où j’étais presque obligée de le faire, je tremblais presque, mais les autres ne pouvaient l’apercevoir.
Quand, à la télé, le président du pays est interviewé et que l'intervieweur l'appelle tout simplement "Nicolas Sarkozy", ça me fait toujours bizarre, mais depuis 7 ans et demi (depuis que je suis France), à force de l'habitude le choc est de plus en plus modéré.
Je me souviens. Quand j’étais enfant, c’était une insulte si un enfant disait le nom de mes parents, car c’était très impoli et agaçant. Il y avait un méchant garçon qui, quand il me voyait passer, disait le nom de mon père. J’étais très fâchée et humiliée (puisqu’il « humiliait » mon père bien aimé). Comment fis-je pour me venger? Tout simplement je disais le nom de son père, à voix basse car j'avais très peur. Il fut furieux et courut vers moi comme un chien enragé... J'ai heureusement survécu à cet incident.
Pourquoi le fait de dire le nom du père de quelqu’un est-il si agressif ? Pourquoi c’est un manque absolu de politesse, voire même une antipathie (il semble que pendant la Révolution Culturelle, les jeunes « gardes rouges » pouvaient appeler les accusés, quel que soit leur âge, par leur nom puisqu’ils ne leur devaient pas de respect et qu’ils voulaient surtout le faire savoir), si on appelle une personne âgée par son nom mais pas par son titre?
Je pense à une explication mais cela n’explique peut-être pas tout. La Chine est une nation très ancrée par le confucianisme ; le confucianisme reconnaît le titre et la place d’une personne dans le réseau social et familial, mais pas sa propre personne. D’où la norme d’appeler une personne par son titre ; sinon, c’est comme si la personne n’a pas de titre et donc n’est plus rien ? On doit positionner une personne, soit par son "titre (brillant ou pas)", soit par "grand-père/oncle/...". C'est une question de positionnement.
Discussion à poursuivre!