vendredi 29 mai 2015

Une Chinoise en France: 1.4 Tu ou vous

SHU Changying 舒长瑛 

"Une Chinoise en France" - Vision comparative des cultures sino-française (et sino-occidentale)

A publier en épisodes; traduits au fur et à mesure de ce que j'ai écrit en chinois

Et, si ça peut vous aider à voir plus claire ma position, je m'imagine m'adresser à mes compatriotes.... ;-)

Il est défendu d'utiliser le contenu sans mon accord ou sans préciser la source.
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1.4 你还是您  Tu ou vous

Dans l’anglais cette question compliquée n’existe pas car il n’y a qu’un seul « you ». En chinois, on entend la différence entre « ni » (tu) et « nin » (vous) mais cette différence n’est pas très grande. En français ça ne passe pas inaperçu. D’abord, les deux mots ne se ressemblent pas du tout. Encore plus compliqué, en français il y a la conjugaison : tous les verbes doivent s’accorder selon si on dit « tu » ou « vous ». Cela exige un niveau de langue assez élevé.

Je n’écris pas un manuel de français et donc ne traite pas de la conjugaison ; je voudrais juste signaler que c’est quelque chose d’important en français et que l’on ne peut pas l’ignorer. Si tu utilises « tu » à une personne qui n’est pas proche, c’est malpoli ou elle peut penser que tu l’obliges à te prendre pour quelqu’un d’intime. Au contraire, avec une personne proche qui aimerait bien être plus intime avec toi, si tu utilise « vous », peut-être inconscient de ta part, elle va penser que tu ne la vois pas comme un ami / une amie et que tu marques une distance. J’ai vu que certains Chinois, à cause de l’insuffisance de la maîtrise socio-linguistique, font le mauvais chois entre les deux ou bien les mélangent, ce qui cause une perplexité à la personne en face.

中国的“您”VS 法国的“您” Le vouvoiement en Chine VS Le vouvoiement en France

Je trouve que les Français sont assez « compliqués », qu’il faut faire attention à beaucoup de choses dans les manières de parler et de se comporter, dont le choix de « tu / vous » qui est délicat. Pour faire simple, la différence principale dans l’usage de « vous » en Chine et en France est : en Chine, le vouvoiement est uniquement utilisé pour exprimer le respect. C’est pourquoi nous l’utilisons toujours aux personnes âgées, par exemple nos grands-parents. En France, il peut aussi servir à exprimer le respect, mais à mon avis il est plus souvent utilisé pour marquer la distance. Tutoyer ou vouvoyer, cela mesure la relation . Par conséquent, en France le vouvoiement est parfois désagréable car ça prouve que la relation entre les personnes n’est pas très proche. Imaginez que tu es avec cinq ou six personnes, la personne qui parle tutoie les autres mais te vouvoie, ça veut dire que soit tu ne lui plais pas soit elle juge que vous n’aurez jamais une relation plus avancée.

En France, on demande souvent la permission de l’autre pour pouvoir le tutoyer. En Chine on ne dit jamais « je propose que l’on se tutoie » ou « est-ce que je peux vous tutoyer ». En France il y a une série de normes reconnues là-dessus : entre les collègues on peut se tutoyer ; le supérieur et son inférieur se vouvoient ; on tutoie ses parents, ses oncles et tantes mais peut vouvoyer les parents de son conjoint / sa conjointe ; à l’université les professeurs et les étudiants se vouvoient ; entre les inconnus, sauf aux enfants, on vouvoie toujours ; dans le milieu professionnel, lors de la première rencontre, les gens se vouvoient et ils verront l’évolution de la relation pour décider s’ils vont changer ; etc.

En Chine, le vouvoiement exprime le respect et la politesse, utilisé généralement aux aînés et aux supérieurs. Il n’est pas réciproque : les personnes âgées n’ont pas besoin de vouvoyer les jeunes (mais je viens d'entendre dire qu'au nord on vouvoie beaucoup plus. Bon, la Chine c'est la diversité ;-) ) ; les professeurs n’ont pas besoin de dire « vous » aux élèves. En France c’est plutôt réciproque, quel que soit le décalage d’âge, sauf entre les adultes et les enfants. Les enfants peuvent dire « vous » aux personnes âgées alors celles-ci les tutoient. Les enfants tout petits ne disent que « tu » car ils ne saisissent pas encore ces trucs compliqués du monde des adultes. Quant aux jeunes gens mais adultes, les personnes âgées les vouvoient aussi.

老师和学生 Entre profs et élèves

Pendant mon année de master, une enseignante me vouvoyait d’abord. Depuis que j’ai participé à un séminaire dont elle faisait partie de l’équipe d’organisateurs - je pense qu’elle a apprécié ma communication au séminaire et qu’elle voulait me signaler qu’on pourrait se prendre pour collègues -, elle m’a tutoyée une fois et m’a appelée par mon prénom. Moi, en tant qu’une étudiante chinoise, pensais obstinément que la prof restait la prof, en Chine on dit « professeur un jour professeur toujours », les élèves ne changement jamais leur façon d’appeler leur professeur même quand eux-mêmes deviennent vieux. Et puis, pour nous, cela dépend de la différence d’âge aussi et moins du niveau de la relation. Donc, le mot « tu » a fait des tours entre mes dents mais n’est jamais sorti de la bouche, encore moins l’appeler par son prénom. Elle, ignorant ma théorie chinoise, pensait naturellement que sa proposition de rapprochement ne fut pas acceptée et a repris le vouvoiement.

D’ailleurs, si jamais elle n’avait pas aimé ma participation, elle n’aurait pas suggéré le tutoiement. C’est pourquoi j’ai dit tout à l’heure que le tutoiement est le signe d’une relation proche et bonne. Après une discussion avec nouveaux voisins ou collègues, s’ils trouvent que vous vous entendez très bien et te trouvent pas bizarre, pas bête, pas méchant, intéressant, il se peut qu’ils proposent que vous vous tutoyez. Tu peux te féliciter car ça signifie que tu es accepté.

Pendant la première année de mon enseignement à l’université, j’ai hésité si je devais tutoyer ou vouvoyer les étudiants, mais mon habitude chinoise a pris le dessus et j’ai choisi le tutoiement, alors qu’ils me vouvoyaient. Cela me gênait. J’ai posé la question aux collègues et on m’a dit que c’était mieux de les vouvoyer. Une collègue a dit que quand elle enseignait au collège elle vouvoyait les élèves aussi, pour leur faire sentir qu’il devait y avoir une distance et que le prof n’était pas leurs potes. J’en ai parlé dans mon blog français, les personnes qui ont commenté étaient tous pour le vouvoiement. Entrer à l’université, ça représente un changement d’identité : on est désormais un « grand ». C’est pourquoi on doit les vouvoyer pour respecter cette nouvelle identité. Faire un détour au milieu du semestre c’est bizarre, donc j’ai décidé de finir l’année avec « tu » et de changer de stratégie l’année suivante avec nouveaux élèves.

— 个人风格 Style personnel

Certains ont la tendance de dire « tu » (nous avons dit qu’en France c’est en général réciproque : la personne qui dit « tu » invite donc l’autre à faire pareil), pour exprimer une sympathie ; certains n’abandonne pas le « vous », notamment ceux qui préfèrent garder la distance avec beaucoup de gens. Je vais citer un exemple. Les personnes dans le milieu de la recherche sont très souvent attachées à une équipe. Dans une équipe il doit y avoir au moins deux ou trois leaders qui ont du poids, et puis il y a des enseignants-chercheurs, ensuite il y a des étudiants – en master et en doctorat. J’ai connu une équipe dans laquelle il y avait une directrice et un vice-directeur (ils ont changé de place plus tard et il est devenu le directeur). Ils avaient différents styles : l’homme tutoyait les membres de l’équipe ; la femme vouvoyait non seulement les « petits soldats » comme nous, mais aussi les collègues « de la même hauteur ». Ce n’est pas très courant mais c’était son style.


Certaines personnes peuvent faire encore plus compliqué : à la même personne, tantôt elles la tutoient tantôt elles la vouvoient, selon les circonstances et les personnes autour, selon si elles veulent exprimer l’intimité ou la distance. Le directeur de l’équipe de recherche que je viens de mentionner est comme ça : il m’a déjà tutoyée et aussi vouvoyée. Je sais que c’était voulu, mais pas parce qu’il a trop bu et qu’il a perdu la tête. Mais ce n’est pas un cas courant non plus, donc nous pouvons l’ignorer si nous le trouvons trop compliqué. Ce que nous pouvons faire est soit d’être passif et discret (dépendre de l’autre ; voir les circonstances) ou de prendre l’initiative (décider sur quel pieds danser et le proposer à l’autre). ça dépend de la personnalité, par exemple je suis plutôt passive dans la communication avec d’autres, en plus je trouve que cette question devient un peu compliquée en France. Je me contente donc de suivre l’autre et je propose rarement le tutoiement avant l’autre.

vendredi 22 mai 2015

Une Chinoise en France - 1.3 Faire la bise

SHU Changying 舒长瑛 

"Une Chinoise en France" - Vision comparative des cultures sino-française (et sino-occidentale)

A publier en épisodes; traduits au fur et à mesure de ce que j'ai écrit en chinois

Et, si ça peut vous aider à voir plus claire ma position, je m'imagine m'adresser à mes compatriotes.... ;-)

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1.3 吻脸 Faire la bise


Après « bonjour » et « ça va ? », maintenant on va parler de « faire la bise ». Une note pour les Chinois : il ne s’agit pas ici des bisous entre les amoureux, mais les bisous sur les joues, entre les membres de la famille et les amis.

好想碰碰你…… J’ai juste envie de te toucher…

Chez les Occidentaux, que ce soit s’embrasser ou se serrer les mains, ce qu’on veut c’est d’avoir un contact physique. Quand ils voient que les parents chinois et leur enfant, après une très longue séparation, peuvent se retrouver sans se faire un contact physique, ils sont surpris, voire choqués. ça nous arrive d’avoir besoin du contact physique avec les personnes très proches, mais ce n’est pas dans notre habitude et on est un peu timide pour le faire. Les enfants tout petits se comportent par instinct : quand ils voient une personne qu’ils aiment ils ouvrent les bras, se jettent dans vos bras et veulent absolument que vous le prenez dans les bras. Chez les enfants on voit moins la démarcation de la frontière ; la culture laisse des empreintes au fur et à mesure que nous grandissons.

Chaque fois quand je rentre en Chine, ma mère me serre dans les bras, mes sœurs prennent peut-être ma main ou mon bras, mais mon père et mon frère ne le font pas, encore moins mes oncles, tantes et cousines. Il y a quelques années, lors de mon premier retour, ma mère était si contente que par un coup d’élan, elle m’a embrassée. La timidité a été ainsi brisée et donc elle fait ça chaque fois, un peu « à l’occidentale » aux yeux des Chinois. Je tape les épaules de mon père, mes frères et sœurs, parce qu’un petit contact intime est plaisant envers des gens qu'on aime. Puisqu’on n’est pas habitué, on a même besoin de chercher des excuses, sans s’en rendre forcément compte. Par exemple, je masse parfois les épaules à mon père, ma sœur dit « hé hé, je vais te frapper » et puis elle prend ma main et la tapote.

Un peu de contact intime entre les membres de la famille nous est donc agréable, et on ressent un besoin parfois. En France, quand les parents font la bise aux enfants et petits-enfants, ils font des bises « prolongées » et les serrent longuement. Mais tout comme « bonjour » et « ça va ? », la bise fait partie du rituel et on ne peut pas se comporter à sa propre volonté. On ne peut pas faire la bise à quelqu’un quand on est de bonne humeur et ne pas le faire dans le cas contraire ; on ne peut pas faire la bise à quelques personnes et ne pas le faire à d’autres. Sauf avec la famille et les amis proches, la bise n’est plus un acte volontaire (bien-sur, sauf quand un homme le fait à une belle fille ou une femme à un beau garçon), mais un rite obligatoire.

Pareil comme la question de salutation, en Occident il s’agit des rituels plutôt fixes ; en Chine sauf dans un contexte officiel, il y a plus de spontanéité. Par exemple, après une séparation d’un an ou deux ans avec ma famille, quand on se retrouve on ne fait pas de bise, et peut-être les retrouvailles ont lieu sans aucun contact physique. ça paraît très froid aux yeux des Occidentaux. Alors que plus tard, quand on se promène, parle ou mange, on peut être bras dessus bras dessous, on peut se prendre la main, se toucher la tête ou se tapoter les épaules (je l’ai dit tout à l’heure, on a aussi envie de se toucher). Contrairement, si je prends l'exemple de ma belle-famille, je trouve qu'à part les bises (plus rituelles qu'affectives, sauf peut-être de la part de ma belle-mère à ses enfants et petits-enfants), il n'y a plus de contact physique spontané: chacun son espace. En France, à table, si tu vas prendre le bras de l’autre, se pousser, se tapoter, tu envahis l’espace de l’autre et il n’y a que les enfants « pas sages » qui font ce genre de choses (si un enfant fait ça, les parents interviennent tout de suite). En plus, à table chacun mange dans sa propre assiette et chacun sa place à part entière, mieux vaudrait laisser les gens tranquilles (la politesse à table s’applique aussi dans le cadre familial).

批发式吻脸 Bises en vrac

La bise entre deux personnes, c’est simple, mais imaginez quand cinq personnes rencontrent huit, ça devient très chaotique. Des fois on va au restaurant entre amis (et amis des amis), huit ou neuf personnes sont installées et deux autres arrivent ; tout le monde se lève pour leur faire la bise, en disant « bonjour, ça va ? ». A mes yeux c’est fatigant et trop rigide, mais je ne dois pas rester dans mon coin et refuser de participer à la « cérémonie », car c’est très malpoli et antipathique. Au moment de se quitter, il faut se forcer (en ce qui me concerne, j’ai besoin de me forcer) à faire la « bise en vrac » encore une fois. J’ai déjà fait la bêtise de faire semblant d’ignorer quelques personnes qui ne sont pas venues vers moi, mais tout de suite ce fut le remord : je n’aurais pas dû être malpolie pour une petite économie d’énergie.

Quand on est à Rome, on fait comme les Romains. Pour ne pas froidir l’ambiance, pour être sympathique, il faut s’accorder à la situation même si c’est un effort à faire. Là-dessus je suis toujours passive : j’accepte si on me le fait et ne « offre » pas mes joues de mon propre mouvement. Certains peuvent hésiter car ils savent que ce n’est pas la coutume dans certains pays, dont la Chine. Ils peuvent se demander si ça ne se fait pas avec moi et ont peur de m’offenser. Dans ce cas ils attendent voir ce que je fais, ou ils me serrent les mains ou bien demandent explicitement mon avis. Si on demande ma permission je ne refuse pas : il n’y a pas la raison, et puis ce n’est pas si désagréable que ça, sauf s’il s’agit d’une « bise en quantité ».

在我们那儿是三下!Chez nous c’est trois !



A propos, en France, en général on fait deux bises : une à droite une à gauche. Dans certaines régions il faut en faire trois ou quatre et puisque ce n’est pas nationalement courant, la personne l’explique à l’avance : « chez nous c’est trois / quatre fois ». Ci-dessous il y a une image : dans la zone jaune on fait deux bises ; dans la zone rose quatre ; dans la zone verte trois ; dans la zone bleue claire on n’en fait qu’une. Mais ce n’est pas un problème grave. Vous pouvez faire comme une dame à la danse du salon et vous vous faites guider. Si, après deux bises, la personne ne récupère pas son visage, ça veut dire que vous pouvez continuer. Si c’est la première fois dans votre vie d’effectuer cette cérémonie, n’ayez pas peur et sortez vos joues : d’abord une, ensuite l’autre. Inclinez un peu votre visage, légèrement mais pas trop (sinon on doit embrasser vos oreilles ou cheveux). Pour le reste, l’autre personne s’en occupera.

吻谁?A qui ?

A part le nombre de bises, ce qui est plus important c’est de savoir quand il faut le faire et quand il ne faut pas. Nous pouvons avoir l’impression que les Occidentaux le font systématiquement alors que ce n’est pas vrai. Dans le milieu professionnel les gens se serrent les mains souvent, sauf s’ils se connaissent bien et qu’ils se sentent proches. Quand on voit quelqu’un qu’on connaît sans avoir une relation proche, lui serrer les mains est suffisant. D’ailleurs, beaucoup entre nous savent que la bise se fait normalement entre un homme et une femme ou bien entre deux femmes ; entre deux hommes seulement les membres de famille et les amis très proches le font.

到底吻哪儿?Où est-ce qu’on embrasse réellement ?

Pour faire correctement la bise, on sort sa joue et légèrement ses lèvres, sans que ces dernières touchent vraiment le visage de l’autre, mais on fait un petit bruit imitant le contact entre les lèvres et la joue. Ce petit bruit m’est bien technique. Lors de mon premier séjour en France, je logeais dans une famille française. A l’époque je pensais qu’il suffisait que les deux joues se touchent, jusqu’à un jour où un ami de la famille d’accueil a signalé que ma méthode n’était pas bonne. Il a dit au propriétaire de m’entraîner tous les jours et ça a fait rire à tout le monde. Plus tard, je croyais qu’il fallait vraiment coller les lèvres sur la joue de l’autre. Plusieurs personnes ont fait mouiller leurs joues à cause de ça et j’en suis désolée en y repensant. Encore plus tard, j’ai mieux saisi la tactilité. Pourtant, malgré mon geste plutôt correct, je n’arrive pas à faire le petit bruit. Si l’autre personne le fait bien mes bises silencieuses passent inaperçues. Parfois je tombe sur une personne qui fait également des bises silencieuses, là ça devient plus gênant. Mais bon, ce n’est pas très grave, l’essentiel c’est qu’on le fait.





[1] http://bouillondecultures2015.blogspot.fr/2015/03/on-se-fait-la-bise_48.html